La COVID-19 et la chance du Canada de défendre et de renouveler la démocratie dans le monde
Par Tom Cormier et Kevin Casas-Zamora
Lorsque le Ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne a rencontré la dirigeante biélorusse Svetlana Tikhanovskaya en exil à Vilnius, en Lituanie, après des élections que lui et de nombreux autres dirigeants européens ont qualifiés de frauduleuses, il lui a assuré que le Canada serait toujours avec elle.
Tikhanovskaya en a profité pour lui dire que ce type de leadership audacieux était essentiel dans sa lutte pour la démocratie, et a souligné le rôle important que le Canada pourrait jouer dans le renforcement des systèmes et des institutions démocratiques à travers le monde.
Sous prétexte de lutter contre la pandémie actuelle, bien trop de pays ont adopté des mesures d’urgence qui restreignent excessivement les droits humains, renforcent la surveillance d’État, contournent le processus législatif et manipulent les élections. En Biélorussie, en Thaïlande, au Kirghizistan, au Liban et ailleurs, ces mesures sont la goutte de trop. Les citoyens s’organisent dans des nouveaux mouvements pour demander plus de démocratie de la part de dirigeants autocratiques et bien établis.
La plupart des législatures des pays en développement n’ont pas la capacité de surveiller les actions de l’exécutif liées à COVID, et de nombreux législateurs peinent à représenter efficacement les intérêts des citoyens.
Les femmes et les groupes marginalisés, qui représentent la majorité des travailleurs de première ligne, sont insuffisamment représentés dans la prise de décision politique officielle, ce qui aggrave le problème.
L’appui du Canada aux institutions multilatérales et à certains pays pour répondre à la pandémie comporte à la fois des risques et des possibilités. L’un de ces risques est que l’augmentation de l’aide financière aggrave la corruption, ce qui fragiliserait davantage la démocratie. Ce risque est particulièrement important si les parlements n’ont pas la capacité ou la liberté de superviser l’augmentation des dépenses publiques, et si les médias et les citoyens sont réduits au silence par les restrictions gouvernementales.
Soutenir des institutions démocratiques solides et des acteurs tels que les groupes en faveur des femmes, les militants des droits humains, les journalistes et les législateurs, est une occasion de se prémunir contre cette situation.
Le Centre parlementaire et International IDEA, ainsi que les principaux groupes internationaux de soutien à la démocratie, mettent le Canada et ses partenaires démocratiques au défi de construire un réseau mondial de protection de la démocratie et de placer le soutien à la démocratie au centre des réponses à la pandémie.
Des rapports tels que “Global Democracy & COVID-19 : Upgrading International Support” et “Un appel pour défendre la Démocratie” plaident pour une coopération plus approfondie entre les pays démocratiques. Une telle coordination permettrait de mieux protéger les normes et pratiques démocratiques, afin de contrôler les mesures restrictives et de soutenir les initiatives prometteuses de participation civique et d’engagement parlementaire. Plus de 500 personnalités de 119 pays, dont 13 lauréats du prix Nobel et 62 anciens chefs d’État ou de gouvernement, ont apporté leur soutien à cette initiative.
Après plus de trois décennies d’efforts internationaux continus pour soutenir l’émergence d’une démocratie inclusive, nous sommes en grave danger de faire marche arrière. La manière dont les dirigeants politiques et les pays répondront à cette période déterminera dans quelle mesure la démocratie se renouvellera ou reculera dans de nombreuses régions du monde.
L’index de la démocratie de l’Economist Intelligence Unit montre que le nombre de “démocraties complètes” n’a cessé de diminuer au cours des 14 dernières années. Publié par Freedom House, l’index annuel “Freedom in the World” de 2020 appelle aussi à une action concertée pour inverser cette tendance.
Dans son rapport annuel, Varieties of Democracies fait écho aux mêmes préoccupations concernant le recul de la démocratie, même si elle reconnaît que nos systèmes démocratiques font preuve d’une grande résilience face à ces défis complexes. Le rapport annuel d’International IDEA intitulé “The Global State of Democracy 2019 : Addressing the ill, reviving the promise” reconnaît également une érosion démocratique généralisée, tout en soulignant la tendance encourageante que “des transitions démocratiques se produisent dans des régimes politiques qui semblaient farouchement antidémocratiques, et les aspirations démocratiques populaires continuent à être exprimées et défendues dans le monde entier”.
Malgré ces constats inquiétants, le soutien du Canada à la démocratie n’a cessé de diminuer ces dernières années. Selon un rapport de 2019 du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, seulement 2% de l’aide étrangère canadienne a été investie dans le renforcement des institutions démocratiques entre 2017 et 2018.
La pandémie mondiale renforce la nécessité de défendre nos systèmes démocratiques, non pas comme une composante subsidiaire de l’aide internationale au développement, mais comme l’épine dorsale de notre stratégie de développement international à long terme.
La liste est longue lorsqu’on demande au Canada ce qu’il a à offrir au monde. Une société pacifique, accueillante, multiculturelle, tolérante et inclusive est généralement en tête de liste.
Si le Canada a été capable de mettre en place des institutions démocratiques qui reflètent de plus en plus la diversité de la société mieux que beaucoup d’autres pays, le chemin à parcourir pour promouvoir l’égalité des genres, se réconcilier avec les peuples autochtones, et répondre au racisme systémique reste long. Nous avons beaucoup à partager, mais aussi beaucoup à apprendre en matière de soutien à la démocratie au niveau international.
Les voix des infirmières du Burkina Faso, en première ligne de la lutte contre la COVID-19, des chefs d’entreprise d’Arménie et d’Azerbaïdjan, dont les moyens de subsistance sont menacés par l’éclatement du conflit actuel, et des citoyens de la Belarus et de Thaïlande, qui veulent des élections équitables et des réformes démocratiques, sont celles que leurs dirigeants politiques doivent entendre.
Elles nous rappellent que la démocratie est aujourd’hui plus importante que jamais et que, si la pandémie actuelle est source de défis, elle offre également une opportunité sans précédent aux dirigeants canadiens et mondiaux de défendre et de renouveler la démocratie et de soutenir ceux qui travaillent à son édification.
Tom Cormier est le président et le directeur général du Centre parlementaire. Kevin Casas-Zamora est secrétaire général de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale.